Les salariés ont-ils le droit de s’absenter pour aller se faire vacciner pendant leur temps de travail ? Peut-on supprimer les titres restaurant des salariés en télétravail ? Comment bénéficier de la prime Macron ? Pierre Warin est intervenu sur le plateau de BFM Business pour répondre aux questions des auditeurs.
29 mars 2021 dans 60 minutes Business
Guillaume Paul (GP) : On parle aujourd’hui de la vie en entreprise qui continue malgré cette crise sanitaire avec Pierre Warin, associé au cabinet Melville Avocats.
Lorraine Goumot (LG) : Nous allons traiter de questions d’actualité en droit du travail et nous démarrons avec une question sur le vaccin. Première question d’auditeur : « Les salariés ont-ils le droit de s’absenter pour aller se faire vacciner pensant leur temps de travail ? ».
PW : Absolument, encore faut-il qu’ils aient le droit de se faire vacciner. Bien entendu, les salariés peuvent, sous certaines conditions, s’absenter sur leur temps de travail pour aller se faire vacciner.
En réalité, il faut distinguer deux cas. Le premier cas, en général dans de grandes entreprises (puisque c’est lié à des conditions d’effectif), est celui d’entreprises dotées d’un Service de Santé au Travail (SST), un service de santé interne. Alors, les salariés peuvent librement se rendre pour une visite médicale, de vaccination en l’occurrence, au Service de Santé au Travail ; c’est le plus simple pour les salariés puisqu’ils n’ont aucune autorisation d’absence à demander à leur employeur. Leur seule obligation est simplement d’informer leur hiérarchie de ce qu’ils s’absentent pour une visite médicale auprès du Service de Santé au Travail (sans avoir par ailleurs à en préciser davantage le motif puisqu’il y a toujours le respect du secret médical).
GP : Ce n’est pas la majorité des entreprises.
PW : En effet, ce sont seulement les plus grandes. En nombre de salariés, cela fait du monde, en nombre d’entreprises, c’est plutôt une minorité.
Dans toutes les autres entreprises (les plus petites, les TPE, PME etc.) qui sont dépourvues de SST, les salariés, pourvu qu’ils soient dans les catégories ouvertes et éligibles, doivent aller se faire vacciner par un professionnel de santé externe. C’est donc un peu plus compliqué puisqu’ils ont besoin de demander une autorisation d’absence : en effet, d’une certaine manière, ils sortent de l’enceinte de l’entreprise. L’employeur peut refuser cette autorisation d’absence s’il a un motif légitime qui tient aux nécessités de fonctionnement du service, à la continuité d’exploitation…
Bien entendu, et c’est ce que le gouvernement ne manque pas de rappeler dans son dernier Question-Réponse à ce sujet, les employeurs sont encouragés à favoriser leurs salariés éligibles à aller se faire vacciner pour essayer de remplir, espérons-le, les objectifs de vaccination qui sont aujourd’hui fixés.
LG : Dans les grands groupes qui ont un SST, quelle est la hiérarchie qu’on doit notifier quand on veut aller se faire vacciner ? Est-ce le manager au-dessus ou le DRH / RH… ?
PW : A moins qu’il n’y ait des règles particulières dans le règlement intérieur de l’entreprise, l’idée est d’en parler au manager pour notifier et informer de ce que le salarié va être absent pendant une certaine durée. C’est une information qui tient à l’organisation du travail et au fait qu’un salarié ne sera pas à son poste pendant une demi-heure ou une heure.
LG : Nous avons une question sur les tickets-restaurant. On nous demande : « Si je suis employeur, est-ce que je peux supprimer les ticket-restaurants de mes équipes qui sont en télétravail ? ». Effectivement, c’est un sujet qui bouillonne un petit peu.
GP : Notamment avec des décisions de justice qui pourraient rebattre les cartes et dont l’une est tombée il n’y a pas longtemps !
PW : Exactement Guillaume, une décision de justice du 10 mars, du tribunal judiciaire de Nanterre, qui a un petit peu rebattu les cartes.
Les cartes, quelles étaient-elles ?
Le principe est celui de l’égalité de traitement, il est rappelé dans le Code du Travail : un salarié en télétravail a exactement les mêmes droits que s’il était dans les locaux de l’entreprise.
Concrètement, si le salarié était éligible dans les locaux de l’entreprise pour les titres-restaurant et que, y compris en télétravail, son temps ou sa journée de travail inclut une pause réservée à la prise du repas (du déjeuner par exemple), alors il doit y avoir droit en télétravail également.
Cependant, le tribunal judiciaire de Nanterre nous dit quelque chose d’un peu différent ; il était saisi par des syndicats qui contestaient le fait qu’un employeur ait retiré le bénéfice des titres-restaurant à des télétravailleurs qui en bénéficiaient lorsqu’ils étaient sur site. Le tribunal judiciaire de Nanterre a considéré que le titre-restaurant a pour objectif d’éviter au salarié un surcoût par rapport au repas pris à son domicile et que lorsqu’il est en télétravail, en l’espèce à son domicile, le salarié n’a pas de surcoût lié à la prise du repas et qu’il n’a donc plus de raison de bénéficier de cet avantage.
La solution est intéressante, elle a fait couler beaucoup d’encre. Attention, cela reste une décision de première instance, les syndicats ont déjà fait appel, donc attendons la confirmation. Juridiquement, cette décision reste un peu sensible dans la mesure où l’article L.1222-9 du Code du travail dit très clairement que les télétravailleurs ont les mêmes droits que s’ils étaient sur site. On peut enfin se demander si, en réalité, dans un cas où les titres-restaurant seraient assez généreux, on pourrait même avoir un coût pour le salarié qui serait inférieur au coût du repas pris à domicile.
Mon conseil en attendant que l’appel ait lieu et que cette affaire se décante juridiquement, c’est qu’il y a un autre moyen tout à fait sécurisé d’arriver au même résultat, qui a déjà été utilisé et validé par la Cour de cassation. Ce moyen est le suivant : dans l’accord d’entreprise ou bien dans la décision de l’employeur qui met en place les titres-restaurant, on pose une condition « objective » de distance minimale entre le domicile et le lieu de travail pour pouvoir en bénéficier. Par exemple, 1km. A partir de là, dès lors que vous travaillez de chez vous (que vous êtes télétravailleur), la distance entre votre lieu de travail, chez vous, et votre domicile, chez vous, est égale à zéro. Vous perdez donc, pour ces journées de télétravail, le droit aux titres-restaurant sur la base d’un critère qui est le même pour tout le monde, qui est un critère objectif et tangible : la distance entre le domicile déclaré et le lieu de travail.
GP : En attendant de voir l’évolution de cette affaire sur le plan de la justice, évidemment.
PW : Exactement.
LG : Concrètement, que fait-on dans les entreprises qui ne veulent pas se retrouver tiraillées entre la distribution de tickets-restaurants pour tous et pour personne ? Un Vademecum d’une petite note ? Comment communique-t-on ?
PW : Tout dépend de la manière dont les titres-restaurant ont été mis en place dans l’entreprise en question. S’ils ont été mis en place par décision unilatérale, l’employeur peut modifier les critères d’attribution après consultation du CSE (s’il existe). Je rappelle que l’avis du CSE ne sera pas forcément favorable au fait de retirer les titres-restaurant des télétravailleurs. Cependant, cet avis ne lie pas l’employeur : si le CSE a un avis défavorable, l’employeur peut malgré tout mettre en place le dispositif modifié. Si en revanche, il y a un accord d‘entreprise, il faudra alors le réviser, c’est-à-dire renégocier avec les partenaires sociaux ; la discussion peut être plus difficile et nécessiter des contreparties.
GP : Une question maintenant sur la prime Macron.
LG : Oui, c’est une question de Danielle, qui s’auto-qualifie de « travailleur ». Elle nous dit : « Le Président de la République a promis une prime pour les travailleurs. Je suis travailleur, que dois-je faire pour toucher cette prime ? ».
PW : Alors, si Danielle est travailleur, ou travailleuse, elle sera en principe éligible à cette prime, ce qui ne veut pas dire qu’elle l’aura, en fonction de ce que son employeur mettre ou non en place.
Effectivement, le 15 mars dernier, Jean Castex a annoncé la reconduction du dispositif de la prime Macron, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat. Elle sera assez comparable à ce qui se faisait les autres années mais elle reste, comme l’année dernière, une prime « à la mode Covid-19 » : Jean Castex a explicitement dit que cette prime chercherait à favoriser ce qu’on appelle les métiers de deuxième ligne. La prime Macron est un montant de 1000 ou 2000€ entièrement exonéré de charges et d’impôts, à condition notamment qu’il soit versé avant le 31 décembre prochain. Il n’est exonéré que dans la limite de ce montant et pour des personnes qui ont un salaire inférieur à un certain plafond.
LG : C’était trois SMIC mais pour l’instant, on ne sait pas encore ?
PW : Exactement, on attend de savoir. Le fait que le gouvernement ait indiqué qu’il fallait viser les métiers dits de deuxième ligne appellera une clarification, afin de savoir exactement ce à quoi cela correspond. On sait que cela se matérialiserait notamment par le fait que les entreprises qui ont négocié, soit à leur niveau, soit au niveau de leur branche, des dispositifs de revalorisation de ces fameux métiers de seconde ligne, pourraient bénéficier d’un plafond plus élevé d’exonération sociale et fiscale.
Cette revalorisation n’est pas forcément une revalorisation uniquement des salaires : cela peut être aussi une revalorisation de la formation ou des conditions de travail. Les entreprises qui ont pris en compte ces métiers de deuxième ligne, ou appartiennent à une branche qui a effectué cette prise en compte, pour améliorer leurs conditions de travail au sens large bénéficieront d’une possibilité d’exonérer jusqu’à 2000€ par personne, alors que dans le cas général, et si on ne dispose pas par ailleurs d’un accord d’intéressement, le plafond est de 1000 € ; il y a donc cet « incentive » pour les métiers de deuxième ligne dont on attend quelques précisions.
LG : Pour conclure cette émission Pierre, nous parlions du moral de vos clients et du moral des gens que vous côtoyez en tant qu’avocat en droit du travail, et vous nous mentionniez beaucoup d’enquêtes psycho-sociales en ce moment dans les entreprises. Comment dois-je faire pour lancer une enquête dans mon entreprise et prendre le pouls de mes employés si je suis patron ou patronne de PME ?
PW : Effectivement, il y a une actualité assez forte. Le moral de nos clients est plutôt bon, mais un certain nombre d’études montrent que le moral des salariés en général est, lui, plutôt bas. A la fois l’anxiété de la période et le télétravail à 80 ou à 100% pèsent sur le moral.
Pour les enquêtes, il y a plusieurs choses et mon conseil, comme celui que nous donnons à nos clients, est : « Mieux vaut prévenir que guérir ».
Il faut être conscients de ce que ce risque aujourd’hui est important et par conséquent mettre en place des mesures préventives. Les mesures préventives passent à la fois par un management de proximité, donc actuellement à distance ; c’est plus difficile, mais il existe un certain nombre de sensibilisations et de formations qui peuvent être faites. Il peut être aussi intéressant de lancer ce qu’on appelle des « baromètres de climat social » : ce sont des sondages en ligne et anonymes qui permettent de toucher de nombreux salariés (études quantitatives) et d’avoir, non seulement une photo à l’instant T, mais aussi une image de son évolution, de poser des questions qui permettent de voir ce qui pose problème.
L’enquête psycho-sociale proprement dite (ou ce qu’on appelle « expertise pour risque grave ») est votée par le CSE lorsque ce dernier estime que l’employeur, confronté à un risque avéré, n’a pas suffisamment pris la mesure de la situation ou n’a pas pris les bonnes mesures de prévention et de gestion des risques. L’expertise pour risque grave du CSE est votée lorsque le problème n’a pas réussi à être suffisamment résolu par l’employeur en amont. Donc, en un mot : prévention, prévention, prévention.