répond aux questions des auditeurs sur la dans l’émission “BFM Business avec vous” présentée par Lorraine Goumot.
25 octobre 2021 dans 60 minutes Business
Loraine Goumot (LG) : Nous allons parler de la santé dans le cadre du droit du travail. La place de la santé est-elle de plus en plus importante ou, en tout cas, les questions autour de la santé sont-elles de plus en plus prises en compte ? Quelles sont les grandes tendances et comment cela s’est-il traduit dans le droit du travail ? Qu’est-ce que la crise Covid a changé concrètement et juridiquement en ce qui concerne la prise en compte de la santé des salariés ?
Pierre Warin (PW) : La crise Covid, d’une manière générale, a placé la santé au cœur de l’économie. Avec le « quoi qu’il en coûte », pour la première fois dans ce type de crise, la santé a été placée devant l’économie.
Il y a effectivement eu une incidence sur le droit du travail. Le droit de la santé au travail préexistait avant la crise du Covid. Néanmoins, cette crise a notamment, par exemple, mis en avant le rôle de la consultation des représentants du personnel à chaque fois que les employeurs ont dû mettre en œuvre des mesures sanitaires. La consultation des représentants du personnel est un sujet qui a été au cœur d’un certain nombre de jurisprudences au début de la crise. On se souvient notamment des arrêts qui concernent, par exemple, Amazon et un certain nombre d’autres entreprises. En résumé, la crise du Covid a remis au cœur du droit du travail la thématique de la santé.
LG : Nous allons désormais parler de la Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT). On nous demande : « Dans quelle entreprise cette commission est-elle obligatoire ? ».
PW : La CSSCT a succédé au CHSCT. Contrairement au CHSCT qui était un comité distinct du comité d’entreprise, la CSSCT est une émanation, une sous-commission du CSE. Elle est obligatoire dans toutes les entreprises de plus de 300 salariés, alors que le CHSCT était obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés. Le seuil d’effectif a donc été relevé pour que les représentants du personnel disposent d’une commission dédiée à la santé. Néanmoins, dans un certain nombre de cas, en particulier dans des secteurs avec des risques particuliers, la CSSCT peut être mise en place dans une entreprise plus petite ou à la demande de l’inspecteur du travail lorsqu’il a des raisons de penser qu’il y a un besoin d’une telle CSSCT. Cette commission assiste le CSE et prépare les délibérations du CSE sur toutes les questions qui relèvent de la santé et de la sécurité au travail.
GP : Est-ce que l’on dispose de données chiffrées sur les violences et le harcèlement dans le monde du travail que la pandémie de Covid aurait pu accentuer ?
PW : Je ne dispose pas de tels chiffres, en particulier en relation avec la pandémie. En revanche, nous observons, en tant qu’avocats, que les entreprises qui ont imposé à leurs salariés le télétravail total et pendant des durées longues allant au-delà des exigences mises en place par le gouvernement, sont celles qui ont vu le lien social le plus mis à l’épreuve et celles, en général, où il y a eu le plus de difficultés individuelles et collectives et notamment peut être le plus d’allégations de harcèlement.
Au-delà des chiffres, les mécanismes du quotidien en présentiel permettaient à la relation managériale et hiérarchique de s’exercer de manière plus fluide. Le distanciel a pu générer des incompréhensions. Pour mémoire, la définition légale du harcèlement correspond à des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet de causer certains préjudices aux salariés. In fine, c’est au juge qu’il appartient de trancher lorsqu’il est saisi d’une question concrète de harcèlement. En termes d’allégations de harcèlement, nous pouvons dire en tout cas qu’il y a eu une augmentation de la souffrance au travail perçue pendant cette période.
LG : On nous demande : « Heures de connexion à rallonge, appels ou messages en dehors des horaires de travail, excès de réunions en ligne. Est-ce que le harcèlement en ligne est aujourd’hui conceptualisé et tout à fait intégré au droit du travail depuis la crise sanitaire ou est-ce que c’est en cours ? ».
PW : La souffrance au travail liée à la digitalisation était déjà présente avant le télétravail avec le droit à la déconnexion. Avant même la crise sanitaire, la généralisation des outils numériques, l’email, le fait d’avoir un téléphone mobile sur lequel on reçoit des messages en permanence et la multiplicité des canaux avaient généré des difficultés dites de sur-connexion et la nécessité du droit à la déconnexion, en particulier pour les salariés au forfait annuel en jours qui ne sont pas soumis à des horaires précis.
Le droit à la déconnexion n’était pas lié particulièrement au télétravail, il lui préexistait. Il est vrai qu’avec le télétravail, cette question s’intensifie et se complexifie. La généralisation du télétravail et l’augmentation du recours à ce mode d’organisation nécessitent selon moi de redéfinir la mesure de la durée du travail en France et de s’interroger sur l’intérêt des salariés à avoir une plus grande flexibilité dans la gestion de leur temps de travail pour concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Aujourd’hui, le droit de la durée du travail est toujours caractérisé par une certaine rigidité donc il y aura probablement des évolutions dans les années à venir.
LG : Depuis la crise du Covid, on observe une multiplication des obligations administratives et déclaratives, notamment le DUER. « Cela devient très lourd pour les employeurs », voilà ce que nous écrit l’un d’entre eux.
PW : Le Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER) existe depuis 2001 et il n’est donc pas né avec le Covid. Cela génère en effet beaucoup de bureaucratie dans la mesure où, à chaque évolution de l’environnement ou de l’organisation du travail, il faut rédiger de manière assez complexe la procédure d’identification des risques et les mesures préventives. La loi du 2 août 2021 sur la santé au travail a confirmé une obligation supplémentaire qui est la consultation préalable du CSE lorsque le DUER est actualisé, c’est-à-dire régulièrement.
GP : Quelles sont les actions possibles pour un salarié dans un environnement de travail qui ne garantit pas la sécurité ?
PW : Il y a une obligation de l’employeur de garantir la sécurité des salariés au travail et de prévenir les risques. En fonction de la nature du risque, le salarié a plusieurs moyens d’agir qui peuvent se cumuler.
En effet, il peut exercer son droit de retrait, c’est-à-dire de se retirer de son poste de travail après avoir alerté l’employeur s’il y a un danger grave et imminent.
Il peut également demander à un élu du CSE de déclencher le droit d’alerte pour atteinte au droit des personnes si le type de danger le permet. Il peut demander au CSE d’exercer, en tant que CSE, le droit de retrait pour danger grave et imminent, ce qui correspond d’une certaine manière à la version collective du droit de retrait individuel.
Enfin, il peut saisir le médecin du travail et/ou l’inspecteur du travail qui a vocation à pouvoir constater si la réglementation sur la sécurité est respectée à l’intérieur de l’entreprise. Il y a donc plusieurs actions possibles qui vont dépendre de la nature du risque.