La crise sanitaire, avec son corollaire en termes de crise économique, pourrait renforcer l’attractivité du travail pour les plateformes numériques afin de constituer une source de revenus. Encore faut-il que le cadre juridique favorise le développement de ces activités, y compris dans le cadre d’un statut salarié lorsqu’il s’impose.
3 novembre 2020 dans 60 minutes Business
Quelles difficultés juridiques soulève le travail sur les plateformes ?
Il est vrai que les plateformes en ligne représentent une nouvelle forme de travail qui bouleverse les pratiques et les concepts juridiques. Le problème vient de l’existence ou non, suivant les cas, d’un lien de subordination qui différencie le travail indépendant du travail salarié, lequel s’exerce sous le contrôle de l’employeur. Or, les travailleurs des plateformes peuvent librement choisir de travailler à tel ou tel moment et en ce sens ils ne sont pas subordonnés. En revanche, lorsqu’ils travaillent pour la plateforme, lorsqu’ils effectuent la livraison ou lorsqu’ils conduisent un passager dans une voiture, les travailleurs des plateformes peuvent dans certains cas exécuter un travail peu autonome, sous le contrôle de l’employeur ou d’un algorithme, et donc en lien subordination.
Il convient ainsi, par exemple, de distinguer les plateformes de pure mise en relation ou les plateformes de service.
Les plateformes de mise en relation ne génèrent en principe pas de lien de subordination : c’est le cas par exemple des plateformes de co-voiturage dans lesquelles les conducteurs sont réellement indépendants par rapport à la plateforme. En revanche, certaines plateformes de service ont recours à des travailleurs dans le cadre d’un service organisé, avec des directives précises, un contrôle de la plateforme ou de l’algorithme, des possibilités de sanctionner les écarts, qui caractérisent alors un lien de subordination.
C’est cette diversité des situations qui conduit à des décisions de justice assez variables suivant que les conditions d’exercice vont pencher dans le sens du salariat ou au contraire du travail indépendant. Tout ceci crée une certaine insécurité juridique qui n’est pas forcément favorable au développement des plateformes et donc à celui de l’emploi.
Le contrat de travail offre un statut beaucoup plus protecteur que celui d’indépendant ? Vrai ou faux ?
Le statut du contrat de travail est effectivement plus protecteur pour les travailleurs des plateformes avec les avantages tels que la réglementation de la durée du travail, le salaire minimum, les conditions de rupture du contrat de travail, l’assurance chômage et un régime de protection sociale plus favorable. En revanche, la réglementation de la durée du travail qui est issue d’une époque où le travail s’exerçait selon une certaine unité de lieu et de temps, est très peu adaptée à ces formes d’emploi qui sont tout à la fois ou alternativement instantanées, asynchrones, imprévisibles. Ces règles de durée du travail salarié limitent tant la capacité des plateformes à employer des travailleurs sous contrat de travail que celle des travailleurs concernés à pouvoir développer une activité d’appoint dans ce cadre rigide.
Le modèle des plateformes repose en effet sur une mise en relation entre l’offre et la demande, ce qui suppose de mettre le bon nombre de personnes en face des clients ou des utilisateurs à l’instant t. Il y a donc une forme d’instantanéité, d’imprévisibilité de la durée du travail et plus largement, le travail numérique peut aussi générer de l’asynchronisation. Tout cela fait que les règles de la durée du travail classiques, conçues pour un travail d’équipe préquantifiable en un lieu et un temps donné ne sont plus adaptées aux nouvelles formes de travail, comme celui des travailleurs des plateformes numériques.
Les règles du Code du travail apparaissent donc peu adaptées au travail à la fois indépendant et subordonné de certaines plateformes. Quelles solutions ?
Aujourd’hui il y a 3 types de solutions qui sont mises en œuvre ou qui sont envisagées.
La première, c’est celle des tribunaux. Lorsque les juges considèrent qu’il y a un lien de subordination (décision qui n’est pas systématique et qui dépend d’un certain nombre d’indices et du caractère plus ou moins contraignant du service pour le travailleurs), ils opèrent une “requalification” du statut d’indépendant en contrat de travail. C’est une solution qui va se traduire par le versement d’indemnités potentiellement assez importantes qui peuvent limiter à terme le développement des plateformes. Mais comme évoqué, cette requalification va également conduire à appliquer des régimes de durée du travail qui ne sont pas vraiment adaptés, aujourd’hui, à ces activités, quel que soit leur statut juridique.
La deuxième solution, recommandée par le Gouvernement, c’est la mise en place facultative par les plateformes d’une charte de responsabilité sociale, pour conférer un début de régime de protection sociale ou de droits qui s’inspirent des salariés mais en étant, à ce stade, nettement plus limités. De plus, outre le fait que ces chartes sont purement facultatives, elle ne changent pas la problématique de la requalification. Avec ou sans charte, si le travailleur est en lien de subordination, il devrait y avoir une requalification, et inversement. Donc ces chartes constituent un plus en termes sociaux mais pas une vraie solution au problème du statut de ces travailleurs et des régimes applicables.
La troisième solution qui a été mise en place dans certains pays européens et qui est recommandée par la Cour de cassation, ce serait de créer un troisième statut, hybride entre salarié et indépendant. Mais la création d’un troisième statut, outre le fait de complexifier encore davantage la réglementation existante, impliquerait plus de statuts, plus de frontières entre ces statuts, et donc plus de litiges de qualification et de requalification.
On ne peut donc que constater que ces trois solutions sont toutes largement imparfaites.
Quels assouplissements de la réglementation de la durée du travail recommanderiez-vous ?
Il y a un certain consensus juridique et social en France autour de l’idée que lorsqu’un travailleur de plateforme est effectivement sous lien de subordination, il devrait en principe profiter du statut de salarié, plus protecteur. Une des difficultés dans une telle hypothèse, c’est que les règles de durée du travail salarié ne sont pas adaptées à ces activités. Or le Code du travail prévoit déjà la possibilité, qui ne peut être ouverte que par la loi, de créer des assouplissement en termes de durée du travail pour certaines professions, comme par exemple les VRP ou les employés de la maison, en raison de la nature des missions exercées et de leurs conditions d’exercice.
Donc, avant de prévoir un troisième statut ou de révolutionner en profondeur le droit du travail, ce qui prendrait du temps, on pourrait tout simplement commencer par simplifier et assouplir les règles de la durée du travail, dans un premier temps pour les plateformes, avec par exemple une durée contractuelle de travail sur une période déterminée qui puisse varier à la hausse ou à la baisse à l’initiative même du travailleur salarié, dans des limites fixées par le contrat de travail et encadrées par la Loi puis le cas échéant par des accords collectifs, sans la rigidité des délais de prévenance ou la pré-quantification très rigide qu’impose aujourd’hui le Code du travail. Au-delà du seul cas des plateformes numériques de service, c’est potentiellement toutes les nouvelles modalités de travail asynchrone, en particulier lié aux modes de vie actuels et à la mobilité des tâches dans le temps et dans l’espace, qui pourrait dans un second temps en bénéficier. Il faut adapter les règles de durée du travail au travail d’aujourd’hui pour créer les emplois de demain.
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