répond à diverses questions relatives au droit du travail dans l’émission “BFM Business avec vous” présentée par Lorraine Goumot.
10 Janvier 2022 dans 60 minutes Business
Lorraine Goumot (LG) : Nous allons revenir sur quelques questions en droit du travail sur le télétravail, le passe sanitaire et la présomption de salariat qui concerne nos auditeurs et auditrices qui travaillent pour des plateformes numériques. On nous demande : « Comment bien se préparer à un contrôle de l’inspection du travail ? ».
Pierre Warin (PW) : Je crois que la question de votre auditeur portait spécifiquement sur le contrôle que l’inspection du travail peut faire sur le respect des jours de télétravail.
Il faut avoir un outil de suivi des jours de télétravail par salarié de manière à être capable de démontrer que les 3 ou 4 jours de télétravail par semaine pour les postes télétravaillables sontrespectés.
Cela veut dire que par défaut, pour les salariés pour lesquels on ne serait pas en mesure de démontrer qu’ils ont été suffisamment en télétravail, il est nécessaire d’avoir un argumentaire pour justifier que leur poste n’était pas télétravaillable 3 ou 4 jours par semaine.
N’oublions pas que le télétravail est un moyen de garantir la sécurité des salariés. Toutes les mesures permettant d’atteindre l’objectif de protection des salariés de la contamination à la Covid-19, notamment le respect des mesures sanitaires sur site pour les salariés qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons ne télétravaillent pas, ont leur importance pour que l’employeur démontre qu’il accomplit son obligation de sécurité.
Guillaume Paul (GP) : On entend beaucoup parler de télétravail obligatoire pour les salariés, mais quid des prestataires externes dans les grands groupes ?
PW : La réponse à cette question varie selon que ces prestataires, qui sont externes lorsqu’ils interviennent chez leurs clients dans un grand groupe, sont eux-mêmes salariés ou non de leur entreprise de prestation de services. Si tel est le cas, en principe, leur travail doit pouvoir s’effectuer à distance et en télétravail chaque fois que c’est possible.
À défaut, si le télétravail n’est pas possible comme cela peut être le cas par exemple pour des prestataires informatiques qui doivent intervenir sur des infrastructures, ils peuvent naturellement travailler dans les locaux du client à condition de respecter toutes les mesures sanitaires.
Si ces prestataires ne sont pas eux-mêmes des salariés mais sont par exemple des experts, des consultants ou des techniciens indépendants, ils ne sont pas directement soumis au protocole
sanitaire et à l’obligation de télétravailler. En revanche, ils devront professionnellement, commercialement et civiquement, respecter lors de leur intervention sur le site de leurs clients toutes les consignes sanitaires qui s’imposent à tous, qu’ils soient salariés, indépendants, citoyens.
GP : Il en va aussi de la réputation de leur propre entreprise, finalement.
PW : Exactement.
LG : Marc nous demande suite à l’actualité de ce matin : « Citigroup, le groupe bancaire américain, s’apprête à licencier ses salariés non vaccinés. Est-ce que cela serait envisageable en France à court terme ? ».
PW : La réponse est non, sauf naturellement dans les activités de soins, dans le secteur sanitaire et médico-social pour lesquels la vaccination est obligatoire. En France, il est possible de mettre en œuvre une suspension du contrat de travail lorsque le salarié ne dispose pas du statut vaccinal obligatoire pour son activité professionnelle, sans préjudice du droit du travail commun en matière de licenciement. Le fait qu’un salarié ne dispose pas du statut vaccinal lui permettant d’exécuter son contrat de travail peut constituer sous certaines conditions une cause réelle et sérieuse de licenciement, à condition notamment qu’il y ait eu des tentatives de reclassement sur des postes pour lequel le vaccin n’est pas obligatoire.
Donc la réponse de principe est non, on ne licencie ni pour défaut de vaccin ni en raison de l’état de santé mais avec quand même une exception lorsque la règlementation prévoit que le vaccin est obligatoire pour exercer ses fonctions, c’est le cas dans le cadre hospitalier notamment.
LG : On change de thématique : Uber, Deliveroo, toutes vos questions sur la présomption de salariat. C’est un dispositif sur lequel travaille l’Union européenne. Si cette réflexion européenne avance, est-ce que tous les travailleurs des plateformes seraient concernés par cette présomption de salariat ?
PW : Les travailleurs des plateformes numériques seraient concernés, à condition qu’on parle d’une plateforme qui met en relation un client avec un travailleur qui effectue effectivement une prestation. Par exemple, les plateformes de rencontres où il n’y a pas de travailleur qui effectue un service ne sont évidemment pas concernées.
L’Union européenne souhaite aider certains travailleurs de ces plateformes à apporter la preuve que malgré l’apparence d’un statut d’indépendant, ils sont dans une situation de subordination effective qui les assimile à des salariés. En comparaison, le droit français actuel prévoit que lorsque quelqu’un travaille comme indépendant mais considère qu’en réalité il devrait avoir les droits d’un salarié parce qu’il a les contraintes d’un salarié, c’est à lui d’apporter la preuve de ce qu’il est en réalité salarié et de ce qu’il travaille sous un lien de subordination.
Selon le projet de directive européenne, pour autant que 2 critères parmi 5 qui concernent les conditions d’exécution du travail soient réunis, il y aurait un renversement de la charge de la preuve du fait du projet de directive européenne.
Par exemple, si une plateforme fixe des tarifs ou des plafonds tarifaires et par ailleurs, exige qu’il y ait une tenue vestimentaire définie ou fixe des règles précises sur la manière dont le service doit être délivré, ce sont 2 critères valables. Dès lors que ces 2 critères sont réunis, ce serait désormais à la plateforme de prouver qu’il n’est pas salarié.
GP : On estime qu’il y a 300 000 personnes en France qui travaillent pour des plateformes. Yassine, nous pose la question : « Alors quels seraient les droits qui découleraient du statut de salarié pour nous, travailleurs de plateforme ? ».
PW : Si la plateforme n’arrive pas à apporter la preuve qu’en réalité le travailleur est bien indépendant au quotidien, alors le travailleur va avoir accès à la plénitude du statut de salarié, ce qui veut dire notamment la durée du travail, ce qui est très important dans ce secteur d’activité, le salaire minimum, le droit de la rupture du contrat de travail et donc du licenciement, la négociation collective et la représentation du personnel, l’assurance chômage, les régimes de protection sociale, etc. La requalification donne droit au statut salarié pour autant que les 2 critères seraient réunis sur les 5 envisagés et que la plateforme n’ait pas réussi à apporter la preuve de l’indépendance.
LG : On a une question de Mamadou : « Est-ce que ces garanties concernent aussi bien les travailleurs salariés des plateformes que les travailleurs véritablement indépendants ? ».
PW : La situation d’un travailleur véritablement indépendant implique que la plateforme devrait pouvoir réussir à apporter la preuve de cette indépendance. Dans ce cas-là, le travailleur véritablement indépendant sera peut-être concerné par la présomption de salariat mais celle-ci pourra être renversée par la plateforme et donc il n’accèdera pas à un statut salarié.
En revanche si dans les faits il est indépendant, la directive prévoit d’autres garanties qui ont vocation à s’appliquer, naturellement une fois que cela sera transposé dans les droits nationaux, à tous les travailleurs, salariés ou indépendants, des plateformes numériques.
Ce sont donc des protections contre certains abus liés aux algorithmes qui gouvernent le travail des travailleurs de plateforme au quotidien. La directive prévoit, d’une part, la possibilité pour un travailleur qui ferait l’objet d’une suspension de compte ou d’une restriction de son compte par l’algorithme, d’obtenir des explications et même de contester cette décision et d’obtenir une réponse dans un délai d’une semaine.
D’autre part, la directive prévoit également que les algorithmes, que ce soit pour les indépendants ou des salariés, ne puissent pas induire des rythmes de travail ou des conditions de travail susceptibles de mettre en danger la santé de ces travailleurs.