10 septembre 2021 dans 60 minutes Business
Lorraine Goumot (LG) : Le mot clé de ce midi est « santé ». Nous allons parler de la santé au travail. Nous avons plusieurs questions qui concernent la Covid 19, le retour en entreprise et le télétravail. La première question est très concrète : « Je remarque que les gestes barrières sont moins respectés qu’auparavant dans mon entreprise. Puis-je alerter mes supérieurs ? Puis-je demander le télétravail ? »
Guillaume Paul (GP) : C’est une vue de l’esprit ?
Pierre Warin (PW) : Non ce n’est pas une vue de l’esprit, effectivement l’été est passé par là, la situation sanitaire évolue. Il est vrai que l’on peut remarquer dans les entreprises comme dans la société de manière générale quelquefois un certain relâchement sur les gestes barrière. Ce qu’il est important de rappeler c’est que la dernière version du protocole sanitaire national en entreprise prévoit toujours, sauf dans les lieux qui exigent la présentation du passe sanitaire, le port du masque et le respect des gestes barrière.
C’est d’abord une responsabilité de l’employeur que de faire respecter, d’informer et de contrôler le respect de ces gestes barrière en entreprise. Donc effectivement, si un salarié remarque que dans son entreprise d’une manière générale les gestes barrière ne sont pas respectés, il a la possibilité – faut-il dire le devoir ? – de prévenir son employeur qui doit réagir.
LG : C’est une obligation de réagir ?
PW : Oui, c’est une obligation pour l’employeur de prévenir les risques professionnels et de garantir la santé et la sécurité des salariés dans les locaux. On sait que le protocole sanitaire diffusé par le Gouvernement n’a pas une valeur juridique contraignante mais un employeur aura beaucoup de difficultés, en particulier lors d’un contentieux, à expliquer qu’il a garanti des conditions de sécurité optimales ou du moins suffisantes pour les salariés s’il n’a pas commencé par faire respecter les gestes barrière qui sont recommandés par le protocole.
LG : En ce qui concerne le DUER (Document Unique d’Evaluation des Risques), l’obligation de publier ce document est-elle toujours en vigueur ? Les règles de sécurité sanitaires ont beaucoup changé depuis le début de la pandémie. A quelle fréquence doit-on renouveler le DUER ?
PW : Plus que jamais, il est en vigueur. Le DUER existait déjà avant la pandémie. Simplement, la pandémie a remis sous les feux de l’actualité la nécessité de l’établir et ensuite de l’actualiser en fonction de l’évolution des risques. Il se trouve que par ailleurs, il y a une loi du 2 août dernier sur la prévention de la santé au travail qui n’est pas directement en lien avec la pandémie. Cette loi prévoit désormais que l’employeur doit consulter le CSE lors de la mise en place du DUER et surtout à chaque actualisation.
GP : C’est un document d’information sur la règle à respecter ?
PW : Le DUER est un récapitulatif très détaillé avec une structure assez complexe de l’identification des risques et de toutes les mesures pour les prévenir et pour les modérer s’ils ne peuvent pas être écartés. Cela reste plus que jamais d’actualité et cela indépendamment de la pandémie même si l’évolution de la pandémie a eu pour effet que les règles et les risques ont changé avec une plus grande fréquence.
GP : Un chef d’entreprise ou un manager nous a écrit : « On prépare le retour au travail de tous nos collaborateurs, nous allons bien sûr vérifier les passes sanitaires à l’entrée du bâtiment mais le masque est-il toujours obligatoire dans les locaux ? »
PW : Le masque reste obligatoire dans les locaux de même que le respect des gestes barrière à la seule exception des locaux qui accueillent du public et qui sont soumis à une obligation de présentation du passe sanitaire pour les personnes présentes. Dans ce cas, le port du masque n’est plus obligatoire. Lorsque ce n’est pas le cas, et donc pour la majorité des entreprises, pour toutes celles qui ne sont pas soumises à l’obligation de présenter le passe sanitaire, c’est exactement comme avant l’été, le port masque est obligatoire sauf pour les bureaux individuels.
LG : Donc typiquement dans une cuisine de restaurant, on ne porte plus de masque ?
PW : Dans des restaurants d’entreprise, sous réserve de l’obligation de présenter le passe sanitaire lorsqu’elle est prévue par les textes, effectivement il faut porter le masque pour les déplacements et naturellement, la seule exception étant sur le moment où l’on s’alimente.
GP : C’est pour ça que les serveurs de restaurants et de cafés ne portent plus le masque depuis la nouvelle version du protocole.
LG : « Un de mes salariés est venu au travail porteur de la Covid 19, il le savait. Les autres salariés peuvent-ils se retourner contre lui et/ou contre l’entreprise ? »
PW : Premièrement, il y a le secret médical, si bien qu’en fait, si un salarié qui vient en étant porteur de la Covid 19 et testé positif, ni l’employeur ni ses collègues ne doivent en être informés. Le salarié peut l’avoir révélé. C’est peut-être vrai, c’est peut-être faux. La situation de santé d’un salarié donné ne regarde que lui et, son environnement de travail, à part le médecin du travail, n’a pas à être au courant.
En revanche, en tant que salarié, si à un moment donné, ma santé est mise en danger soit en termes de risques soit en termes de pathologie effective et que j’ai le moyen de démontrer, ce qui n’est pas forcément évident, que je l’ai contractée sur le lieu de travail et que les conditions n’étaient pas réunies pour maintenir un niveau de risque suffisamment bas, dans ce cas, je peux effectivement chercher à engager la responsabilité de mon employeur mais il faudra quand même démontrer que les gestes barrière, les précautions, l’ensemble de ce que l’employeur aurait dû mettre en œuvre pour rester à un niveau de risque acceptable n’a pas été respecté.
GP : Quand bien même j’arriverais à démontrer justement que toutes les conditions de sécurité n’étaient pas réunies, de là à en déduire que c’est sur le lieu de travail que j’ai contracté le virus n’est pas simple malgré tout. Cela peut paraitre dur d’attaquer l’entreprise.
PW : Tout à fait, c’est pourquoi l’on peut penser qu’il y a une zone grise. Ce n’est pas parce que l’intégralité des gestes barrière n’a pas été respecté à chaque minute qu’un salarié sera en mesure d’engager la responsabilité de son employeur.
En revanche, cela peut être le cas dans des situations peut-être très caractérisées où personne ne portait le masque, où il n’y avait aucun respect des distances minimales, où il n’y avait pas de flacon de gel hydroalcoolique etc. En droit du travail, l’employeur doit prévenir les risques même si la contamination ou la preuve de la contamination sur un certain lieu ne peut pas être réalisée. Le fait que le comportement de l’employeur ait mis en danger ses salariés pourrait suffire, si c’est démontré, à engager sa responsabilité.
LG : Un auditeur nous demande des conseils pour négocier ses conditions de télétravail longue distance. Est-ce que vous avez du recul en tant qu’avocat sur la contractualisation ou l’organisation de la longue distance ?
PW : C’est un phénomène sur lequel nous avons effectivement non seulement du recul mais aussi beaucoup de demandes puisqu’un certain nombre de salariés au moment du confinement ou depuis, souhaitent désormais aller travailler à plus longue distance de leur lieu de travail contractuel ou habituel.
Le télétravail hybride est aujourd’hui la modalité plébiscitée et recommandée qui va probablement se mettre en place. Il nécessite quand même des déplacements entre le lieu de télétravail et les locaux de la société selon une fréquence d’un, deux ou trois jours par semaine.
La grande difficulté est qu’en général, la volonté du salarié de travailler depuis un lieu très éloigné de celui de l’entreprise, correspond à une démarche volontaire. L’employeur peut être d’accord mais souvent à condition que ce soit à coût constant. Or, les règles juridiques aujourd’hui imposent que l’employeur, soit en termes de déplacement professionnel, soit en termes de trajet entre le lieu de résidence habituel et le lieu de travail, prenne en charge à minima 50% du coût de l’abonnement aux transports publics pour se rendre au travail. Il y a une règle qui est générale et absolue qui n’est pas adaptée à un travail flexible, généralisé, longue distance et rappelons-le, volontaire. Hors période de pandémie ou épisodes de pollution, c’est en principe une démarche volontaire du salarié.
Il y a des pistes mais qui aujourd’hui ne sont pas encore complètement sécurisées juridiquement. Il y a donc une évolution qui devra intervenir. Je pense que la clé se trouve dans le dialogue social et dans le fait que par accord, on puisse déroger à la loi sur ce point, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.