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Comment se servir des CDD d’usage sans en abuser ?

Pierre Warin répond aux questions des auditeurs sur les CDD d’usage dans l’émission “BFM Business avec vous” présentée par Lorraine Goumot.

5 juillet 2021 dans 60 minutes Business

Thomas Schnell (TS) : Nous allons parler de ces contrats qui se développent tous azimuts et qui sont au cœur d’une proposition parlementaire. La majorité de La République En Marche veut circonscrire le recours au CDD d’usage (« CDDU »). Il y en a de plus en plus, ils ont plus que doublé en quelques années. Comment se servir d’un CDD d’usage sans en abuser ?

Pierre Warin (PW) : En premier lieu, en respectant la loi et la jurisprudence telles qu’elles sont, puisque les CDDU sont d’une très courte durée et, à la différence des CDD de droit commun, peuvent être utilisés de manière « illimitée » sans délai de carence, sans nombre maximum mais avec plusieurs conditions. 

Premièrement, ils doivent être utilisés dans certains secteurs d’activités définis par décret en raison de la nature de l’activité et de son caractère temporaire, mais également à condition qu’il y ait un usage constant de recouvrir à ce type de contrat. 

Deuxièmement, et c’est la règle pour tous les CDD y compris les CDDU, il ne faut pas que ces contrats courts servent à pourvoir un poste qui relève de l’activité normale et permanente de l’entreprise.

C’est là le problème puisqu’effectivement, comme vous l’avez relevé à juste titre, il y a eu une croissance très importante de ces contrats. En 2019, il y a eu 9,2 millions de contrats signés par presque 5 millions de salariés. En 1982, quand ces contrats ont été institués, c’était précisément pour éviter un autre abus, celui du recours au travail dissimulé. Cette flexibilité des CCDU a fait l’affaire aussi bien des employeurs des secteurs concernés que des salariés, dans la mesure où il y a une indemnisation par l’assurance-chômage entre deux contrats, ce qui a pu donner lieu à de nombreux abus.

Erwan Morice (EM) : Peut-on recourir à des CDDU dans n’importe quel secteur ? Est-ce circonscrit à certains secteurs d’activité ?

PW : C’est bien circonscrit à certains secteurs d’activités qui sont définis par décret. Il y en a une dizaine. Les secteurs les plus importants en termes de recours sont l’audiovisuel, les enquêtes et sondages, l’enseignement, l’hôtellerie-restauration… Donc des secteurs qui ont besoin, par nature, de vacataires, terme juridiquement impropre, mais ce sont tous ces secteurs où il y a beaucoup de vacations et de vacataires qui sont concernés.

TS : Quels sont les objectifs de la proposition parlementaire en termes de circonscription de ces CDDU ?

PW : La proposition parlementaire revient à proposer que soient inscrits dans la loi tout un nombre de principes développés par la jurisprudence et de les clarifier, les solidifier et de les consolider par le biais de la loi. L’idée est d’abord d’inscrire dans la loi le principe jurisprudentiel répété selon lequel des CDDU à répétition qui ont pour objet ou pour effet de pourvoir un poste relevant de l’activité normale et permanente de l’entreprise doivent être en principe requalifiés en CDI. C’est déjà le cas mais ce serait plus clairement exprimé dans la loi.

L’autre innovation majeure serait de ne plus avoir une liste de secteurs déterminés par décret dans lesquels on peut penser, à tort ou à raison, qu’en principe on peut y recourir ; mais plutôt d’avoir un renvoi à la négociation collective, c’est-à-dire de limiter le recours au CDD d’usage à certains secteurs dans lesquels les partenaires sociaux, en général au niveau de la branche, ont conclu un accord étendu. Cet accord étendu, c’est-à-dire agréé par le Ministère et donc conforme à la loi, listerait précisément les activités et le type de postes qui seraient éligibles au CDDU. L’idée est de renvoyer aux partenaires sociaux, sous le contrôle du Ministère, la responsabilité de définir le champ d’application branche par branche de ces CDDU.

EM : Le prêt de main d’œuvre : On en a entendu parler pendant la crise car certaines entreprises pouvaient mettre à disposition certains salariés dans des entreprises où il y avait des besoins spécifiques. Comment évolue ce dispositif ?

PW : Le dispositif a été prolongé du 30 juin jusqu’au 30 septembre 2021 comme un certain nombre de mesures liées à l’état d’urgence sanitaire, qui a été prolongé jusqu’au 30 septembre. Ce dispositif est intéressant mais pas encore très bien connu. Il permet à des entreprises qui ont des baisses d’activités et qui ont recours à l’activité partielle de pouvoir mettre à disposition leurs salariés auprès d’une entreprise utilisatrice qui, quant à elle, a plutôt des problèmes de recrutement. 

EM : Il faut que le salarié soit d’accord ?

PW : Il faut que le salarié soit d’accord. C’est une relation tripartite, triangulaire, entre l’entreprise prêteuse qui a en l’espèce, dans ce dispositif, recours à l’activité partielle, le salarié et l’entreprise utilisatrice. Ce qui est intéressant est que le dispositif a assoupli un certain nombre de formalités et s’exonère de l’interdiction de toute opération à but lucratif. Cela veut dire qu’une entreprise qui a recours à l’activité partielle n’est pas obligée de facturer à l’entreprise utilisatrice l’intégralité des coûts qu’elle a supportés, de manière à faciliter le dispositif et l’échange de main d’œuvre.

EM : Donc prolongé jusqu’au mois de septembre ?

PW : Prolongé jusqu’au mois de septembre, absolument.

TS : Un système gagnant-gagnant. En revanche, une pratique a fait quelques perdants : la surveillance par le téléphone et les enregistrements clandestins. Est-ce qu’on peut se servir d’un enregistrement illégal et clandestin avec son employeur devant le Conseil de prud’hommes ?

PW : Jusqu’à présent, la réponse était négative mais il commence à y avoir un certain nombre de brèches. La dernière est celle ouverte par la cour d’appel de Bourges, par une décision du 26 mars dernier. En matière pénale, pour préserver l’ordre public, la preuve est libre et donc un enregistrement clandestin au pénal pour, par exemple, démontrer de la discrimination au sens pénal du terme est tout à fait autorisé. En revanche, ça ne l’était pas devant les juridictions civiles, devant lesquelles on demande généralement une indemnisation financière. 

Dans une affaire où un salarié, pour démontrer la discrimination, se prévalait d’une conversation avec son employeur enregistrée à l’insu de ce dernier, la cour d’appel de Bourges a fixé des principes un peu plus souples que ceux que je viens d’évoquer, en particulier fondés sur ce que l’on appelle le droit à la preuve. La cour d’appel de Bourges a considéré qu’un tel enregistrement clandestin était recevable à partir du moment où il réunissait 2 conditions.

Premièrement, il est indispensable à la défense des droits du demandeur, en l’espèce le salarié. En l’occurrence, cet enregistrement comportait des propos de l’employeur qui pouvaient laisser supposer une éventuelle discrimination.

Deuxièmement, la révélation de cette conversation privée ne doit pas porter une atteinte excessive, disproportionnée, à la vie privée de la personne qui a été enregistrée. En effet, l’enregistrement avait eu lieu en l’espèce dans les locaux de l’entreprise, dans un endroit ouvert au public, avec d’autres salariés qui étaient autour et avaient pu entendre des bribes de cette conversation, donc cela a compté dans la décision de la cour d’appel d’accepter la recevabilité de cet enregistrement. 

Pour information, la discrimination n’a cependant pas été retenue, comme quoi la recevabilité d’une preuve est une chose, la force de cette preuve en est une autre.

TS : C’était dans le sens du salarié ?

PW : Oui, c’était dans le sens du salarié. A cet égard, en particulier sur les questions de discrimination qui comme vous le savez sont très importantes aujourd’hui, la défenseure des droits Claire Hédon a également recommandé dans un rapport récent que la preuve produite par des enregistrements clandestins puisse être plus facilement recevable qu’aujourd’hui devant les juridictions civiles.

TS : Nous allons élargir le champ de la surveillance, ce sont des questions que nous pose un employeur : « Puis-je surveiller clandestinement mes salariés ? Dois-je informer mes salariés si je les surveille ? ».

PW : La réponse est : Non, pas clandestinement ; Oui, il faut informer les salariés. L’actualité récente a montré, en particulier avec l’entreprise Ikea, que cela pouvait être quelque chose de très sensible. Il peut y avoir surveillance des salariés dans l’intérêt de l’employeur. Il faut que cela soit justifié dans son principe et proportionné dans ses modalités. La proportionnalité est quelque chose de très important. Il faut surveiller le strict nécessaire.

EM : Par exemple, comment justifier que l’on va surveiller ses salariés ? Quand on travaille avec des marchandises sensibles ou ce genre de choses ?

PW : Par exemple, il peut y avoir des entreprises qui ont des secrets ou des procédés de fabrication et on peut essayer d’empêcher toute forme de fuite d’information ou de concurrence déloyale. Il peut aussi y avoir des problèmes dans certaines entreprises, comme par exemple dans la distribution, de vols qui permettent dans une certaine mesure mais surtout pas de manière continue de surveiller les salariés qui sont en présence d’espèces ou de stocks de marchandises.

EM : Mais on justifie auprès de qui ? Parce que n’importe quel employeur peut se dire « je justifie de telle ou telle manière » et point barre… Y a-t-il une liste des arguments que l’on peut mettre en avant pour surveiller ses salariés ?

PW : Il n’y a pas de liste préétablie. En revanche, on justifie du principe et des modalités d’abord auprès du CSE puisque tout système de surveillance doit faire l’objet d’une consultation préalable du CSE pour les entreprises d’au moins 50 salariés donc cela doit être exprimé. 

En réalité, comme on l’a vu dans l’affaire que l’on vient d’évoquer, c’est finalement devant le juge et en cas de litige que l’employeur devra produire une justification considérée comme valable. Encore une fois, n’oublions pas qu’à côté de la justification du principe, il y a l’exigence de proportionnalité d’une surveillance qui soit limitée au strict nécessaire.

 

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